dimanche 27 janvier 2013

Les Catalans, un peuple de fous?



Les appels croissants en faveur de l'indépendance de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne ont provoqué de nombreux commentaires parfois très négatifs dans les médias français. Les Catalans voulant faire sécession de l'Espagne sont tour à tour qualifiés de fous, d’égoïstes ou d’arriérés, et leur président n’est qu’un opportuniste utilisant la question de l'indépendance pour détourner l'attention de sa déplorable action politique. La séparation, d’après ces Cassandre, serait un désastre tant pour la Catalogne que pour l'Espagne. La plupart des correspondants étrangers transmettent aux lecteurs la version espagnole des événements, qui, malheureusement, ne tient pas souvent compte de l’ensemble des faits. Le point de vue des Catalans, même s’il est très bien argumenté, est presque toujours ignoré.
Ces lignes sont une tentative de construire un pont conceptuel pour aider les Français à mieux comprendre le problème.
Je demande aux lecteurs hostiles à l’idée de l’indépendance de la Catalogne de bien vouloir me suivre un instant dans un exercice d’histoire-fiction qui, bien qu’apparemment insensé, est à mon sens tout à fait approprié. Imaginons le scénario suivant, pour peu probable qu’il soit d’un point de vue historique:
1. Il y a 500 ans, au sortir de la Guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre, le royaume de France se confédère avec le royaume d’Angleterre. La France et l’Angleterre ont le même roi, un anglais, mais la France conserve toutes ses institutions souveraines.
2. Il y a 300 ans, pour une raison quelconque, l'armée anglaise envahit la France. Paris tombe après un siège prolongé, une partie de la ville est rasée jusqu’au sol et sur ce terrain, quelque part entre les Halles et la Bastille, une immense forteresse est érigée par les Anglais, afin de prévenir toute émeute de sujets rebelles. Toutes les institutions françaises, de quelque sorte qu’elles soient, sont abolies et la France devient à tous les effets une province anglaise. L'utilisation publique de la langue française est interdite. Toutes les universités de France sont contraintes de fermer leurs portes, l’enseignement supérieur étant concentré dans une nouvelle université, fondée dans une ville de la taille de Tours (ou Soissons, ou Calais). La langue d'enseignement à l’université, mais aussi dans toutes écoles primaires et secondaires, est dorénavant exclusivement l’anglais.
3. Après les aléas d’une Histoire fluctuante et douloureuse, et après une dictature cruelle, un changement démocratique intervient, et les Français espèrent que la nouvelle autonomie de la France au sein du Royaume d’Angleterre leur apportera la liberté, le retour de leurs institutions autonomes, l'utilisation sans entrave de leur langue et une position d’égal à égal dans l’État anglais.
Trente ans plus tard, nous nous trouvons dans la situation suivante:
1. La France doit verser à Londres tous les impôts perçus sur son territoire. Les sommes que Londres renvoie à Paris sous forme d’investissements et de prestations doivent chaque année faire l’objet d’âpres négociations. La différence entre les impôts payés en France et les sommes que l’Etat anglais y dépense effectivement dépasse 8% du PIB français chaque année, ce qui constitue une saignée économique sans équivalent en Europe. Pour cette raison et afin de remplir ses obligations légales, le gouvernement français autonome doit emprunter de manière disproportionnée.
2. Les Français constatent que, avec leurs impôts, l’administration anglaise finance hors de France des projets démesurés et sans fondements économiques (aéroports fantômes, autoroutes vides, TGV avec un nombre de passagers infime, etc.)
3. Les mesures visant à redonner toute sa place à la langue française en France sont décrites comme totalitaires, racistes, incompréhensiblement bornées, tandis que la langue anglaise conserve tous ses privilèges. Selon la Constitution, le français "peut" être appris, l’anglais "doit" être appris. La politique de l'éducation est largement dictée par Londres.
4. Aucun fonctionnaire anglais travaillant en France ne se doit de comprendre le français : aucun juge, aucun policier, aucun fonctionnaire des impôts... Ce qui veut dire que quiconque veut dénoncer un vol au commissariat, à Toulouse, à Lyon, à Nancy,  se doit presque toujours de le faire en anglais, s’il veut espérer être compris.
La liste pourrait être beaucoup plus longue, mais arrêtons-nous ici.
Voici donc ma question: s'il se trouvait des Français (beaucoup de Français) pour protester contre cet état de fait et manifester massivement en faveur de l'indépendance de la France et pour se séparer de l’Angleterre, trouveriez-vous normal qu’on qualifie ces Français de sots, de bornés, d’incultes, d’arriérés? Il y a un vieux dicton en Catalogne: seul celui qui porte une chaussure sait où elle lui fait mal. Et personne ne peut faire sortir un million et demi de personnes dans la rue, comme ce fut le 11 septembre 2012, ou pas même 150 000, si la chaussure ne fait pas vraiment mal.
Patrick Roca et Pere Grau*

*Barcelone, 1930. Vit depuis 1960 à Hambourg. Economiste. Écrivain (plusieurs prix de poésie). Employé (honoraire) de la revue de philologie catalane "Llengua Nacional" et le journal en ligne "El Matí digital". 
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1 comentaris:

  • Unknown says:
    17 août 2013 à 09:49

    Il n’est pas nécessaire de remonter si loin pour faire un parallèle entre la situation supposée de la France dans un tel contexte historique. Posons-nous la question de savoir quelle serait celle-ci si les USA n’étaient pas intervenus au cours de la Seconde Guerre mondiale. Hitler aurait pu être considéré par les Américains comme un barrage contre la menace soviétique et l’Europe comme une zone tampon. La Grande-Bretagne aurait suivi son allié et l’Europe serait restée seule entre les mains de ce dictateur.
    Quelques décennies plus tard …remplaçons dans l’exemple précédent l’anglais par l’allemand, le bilan serait peut-être moins grave que celle connue aujourd’hui par les catalans avec l’Espagne.
    Enfin, pour ironiser sur l’attitude de certains Français que j’ai entendus sur ce sujet :
    Quel serait leur réaction si un touriste étranger déclarait que cette situation est normale, car pour lui, il lui suffit de connaître que l’allemand pour voyager en France et se faire comprendre ! Pourquoi donc ces derniers veulent-ils lui compliquer ainsi la vie ! Ces Français sont bien égoïstes !

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