mercredi 20 février 2013

Je ne verserai pas de larmes pour Iberia


On me demande mon avis concernant la prochaine restructuration de la compagnie aérienne espagnole Iberia, menacée de disparation. Si disparation il y a, celle-ci sera le fruit du passé de la compagnie, qui n’a jamais revu sa stratégie au fil du temps. Portée sur les fonts baptismaux par un Etat militaire et dictatorial, Iberia a également progressé sous sa tutelle, avec une gestion basée sur des impératifs plus géopolitiques qu’économiques, ce qui a conduit à l’impasse actuelle.

Faisons un bref retour en arrière. Fondée en 1927 par l'entrepreneur basque Echevarrieta, elle est soutenue par le dictateur Primo de Rivera qui lui octroie le monopole du transport aérien espagnol. En 1929, à la demande du Conseil militaire, elle est contrainte d’apporter ses routes et ses appareils à la nouvelle CLASSA en vue de former une nouvelle entreprise monopolistique. La Seconde République espagnole dissout CLASSA et la remplace par LAPE. Durant toutes ces années, la société Iberia existe mais n’est qu’une coquille vide. En 1937, pendant la Guerre civile espagnole, Iberia est réactivée et devient la compagnie aérienne des militaires rebelles d’extrême-droite, depuis son siège de Salamanque. Elle fera plus tard partie du conglomérat collectiviste de l'INI (Institut National de l’Industrie), d’inspiration mussolinienne. Les différents gouvernements issus de la transition démocratique des années 1970, ici comme dans tant d’autres aspects, n’abordent que sur le tard et de façon peu satisfaisante les questions d'intérêt général, tels que les processus de privatisation qu’exigeait l’adhésion à l'Union Européenne. En Espagne, que le pouvoir soit détenu par le centre, la gauche ou la droite, par UCD, le PSOE ou le PP, privatisation rime toujours avec centralisation :  la privatisation entraîne la concentration du pouvoir à Madrid, les entreprises privatisées étant livrées à une petite caste oligarchique, et les joyaux de la couronne deviennent de véritables monopoles ou oligopoles privés.

Dans ce contexte, dans les années 1990, les administrateurs de l’INI, majoritaires au capital d'Iberia, poursuivent une stratégie de croissance de l'entreprise vers le marché sud-américain, pour se préparer à la libéralisation des marchés aériens dans l'Union européenne. Le résultat de cette stratégie de recolonisation de l'Amérique fut un échec. Les pertes furent lourdes pour Iberia. L'INI, par le biais du gouvernement espagnol, dut procéder à deux recapitalisations.

L'année 2001 marque un tournant dans l'histoire de l'entreprise. Son entrée en bourse en avril de cette année parachevait sa privatisation. Elle rejoignait l'alliance Oneworld, avec les compagnies aériennes British Airways et American Airlines, entre autres, et faisait partie de l'Ibex 35, l’indice boursier de référence de la Bourse de Madrid, jusqu'à la fusion de 2011. Le holding résultant de cette fusion, dominé par British Airways et appelé International Airlines Group (IAG), est celui-là même qui, se basant pour la première fois en 85 ans sur des critères économiques, impose maintenant une restructuration qui, selon certains experts, peut conduire à la disparition d’Iberia.

En tant qu'utilisateur presque forcé d’Iberia, je peux vous assurer que je ne verserai aucune larme pour cette compagnie aérienne. Une entreprise créée et protégée par l'Etat et qui a toujours combiné dans ses actions l'inefficacité et le parti-pris politique est un dinosaure qui ne peut pas évoluer. La société publique espagnole AENA, qui gère de façon centralisée l’ensemble des aéroports espagnols, avec une bienveillance mal dissimulée envers Iberia, a démontré son parti-pris en soutenant systématiquement l'aéroport de Madrid, au détriment de celui de Barcelone. AENA a permis à Iberia de passer le voile sur ses inefficiences, dans la mesure où AENA ne fournit que depuis 2010 des données ventilées des bénéfices et des pertes générés par chaque aéroport du réseau aéroportuaire espagnol. Iberia a choisi d'abandonner totalement l'aéroport de Barcelone - El Prat, en vue d’en faire un aéroport provincial et de compagnies low-cost. Mais en préservant la rente du « pont aérien » Barcelone-Madrid, la deuxième ligne la plus rentable au monde. (Pourquoi une telle anomalie? A cause de la dépendance politique anormale de Barcelone et de la Catalogne, la région la plus productive de la péninsule, à l’égard de Madrid). 
J'ai personnellement fait l’expérience des coups bas orchestrés à l’unisson par AENA /IBERIA, en découvrant que, au moins à douze reprises, AENA avait autorisé et encouragé l’escale à Madrid auprès de compagnies aériennes de dimension internationale avec l'interdiction expresse de s’arrêter à l’aéroport de Barcelone. On pourrait dénoncer le cas flagrant de Singapour Airlines qui, depuis plus de deux ans, en codesharing avec Spanair, faisait escale à Barcelone sur la route de Sao Paulo. AENA y mit le holà, et la proie fut cédée à Iberia. La création du hub de Miami a également fait partie de cette stratégie d’Iberia/AENA en faveur de l’aéroport de Madrid - Barajas. L'obstruction systématique des vols directs entre Barcelone et les États-Unis, a fini par favoriser les entreprises américaines qui couvrent maintenant cette route si rentable, la fréquence en ayant été doublée dès la première année. La liste est interminable.
Je déplore donc l’angoisse que vivent aujourd’hui des milliers d’employés d’Iberia, mais je persiste et signe : une entreprise conçue comme une arme de l’oligarchie madrilène et non comme un instrument de service public, efficace et équitable pour tous les citoyens de l’Etat, mérite, maintenant qu’a sonné l’heure de l’évaluation internationale, d’être avalée par les Britanniques. Vu de Catalogne, l’impérialisme britannique a au moins l’avantage d’être plus pragmatique et économiquement plus efficace.


Josep Huguet@Josep_Huguet
Ancien ministre du gouvernement de la Catalogne (2004-2010)
Président de la fondation Irla

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